Nous, députés et sénateurs de tous bords politiques avons saisi mardi le Conseil constitutionnel contre le texte pénalisant la
négation du génocide arménien, bloquant sa promulgation, à la grande satisfaction d'Ankara et au grand dam de Nicolas Sarkozy.
"Cela ne me rend pas service", a réagi le président de la République devant les parlementaires de la majorité qu'il recevait à
l'Elysée, selon des propos rapportés par plusieurs sénateurs UMP.
M. Sarkozy a exprimé notamment le risque que si ce texte était annulé, il y ait ensuite un recours contre la pénalisation de la
négation de la Shoah, seul génocide dont la négation est aujourd'hui punie par la loi française.
De son côté, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a vu dans ces recours "une démarche conforme à ce qu'est la France".
Les relations franco-turques "vont se détendre. On risquait une rupture. Nous attendons maintenant la décision du Conseil constitutionnel", a réagi le porte-parole de l'ambassade turque à Paris,
Egin Solakoglu.
La proposition de loi de la députée UMP Valérie
Boyer, votée le 22 décembre par l'Assemblée nationale, a été définitivement adoptée par le Parlement le 23 janvier avec un ultime vote du Sénat.
Soutenu par les deux principaux partis, l'UMP et le
PS, ainsi que par le chef de l'Etat, ce texte a provoqué la colère de la Turquie, partenaire stratégique et économique majeur de la France.
Deux recours ont été déposés mardi auprès du
Conseil constitutionnel. Le premier, émanant du Sénat, a été initié par le président du groupe RDSE (à majorité radicaux de gauche), Jacques Mézard, et a recueilli 77 signatures, alors que 60
seulement sont nécessaires pour une saisine.
Le deuxième recours émane de 65 députés menés par Jacques Myard (UMP) et Michel Diefenbacher (UMP).
Le Conseil constitutionnel peut censurer une loi qu'il juge contraire à la Constitution, s'il est saisi par 60 députés, 60
sénateurs, le chef de l'Etat, le président de l'Assemblée nationale ou celui du Sénat.
Ce recours bloque la promulgation de la loi
par le président de la République, ce qui doit intervenir dans les 15 jours suivant l'adoption du texte s'il n'y a pas de contestation.
Le Conseil constitutionnel doit statuer dans un délai d'un mois, délai qui peut être ramené à huit jours en cas de demande du
gouvernement.
Les deux recours ont été signés par des parlementaires de toutes tendances politiques. Cela témoigne du malaise de la classe
politique face à ce texte jugé par beaucoup "électoraliste" à l'approche des grandes échéances, présidentielle et législatives.
Ces saisines sont "une bombe atomique pour l'Elysée qui n'a rien vu venir", a déclaré le député UMP Lionel Tardy à l'AFP. Sur
les 65 députés signataires, 52 sont UMP ou Nouveau Centre, 11 sont socialistes et deux non inscrits.
Les 77 sénateurs signataires se répartissent en 22 PS, 18 UMP, 15 RDSE, 12 centristes, 8 écologistes et 2 communistes. "Je me
félicite que les sénateurs aient résisté aux pressions. Ce recours tranchera enfin du sort des lois mémorielles", a réagi Nathalie Goulet (centriste).
"Le texte méconnaît, outre l'article 34 de la
Constitution (portant sur le domaine de la loi, ndlr), plusieurs principes fondamentaux du droit parmi lesquels ceux des libertés de communication et d'expression", ainsi que "de légalité des
délits et des peines", a argumenté M. Mézard.
Le projet de loi prévoit un an de prison et 45.000 euros d'amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière
d'un génocide reconnu par la loi française, celui des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ou celui des Arméniens.
La Turquie réfute le terme de génocide, même si elle reconnaît que des massacres ont été commis et que quelque 500.000 Arméniens
ont péri en Anatolie entre 1915 et 1917.