Veuillez trouvez ci-dessous l’intervention que j’ai prononcée lundi 25 octobre 2010 à
l’occasion du débat de l’article 46 qui encadre le prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la
France au budget de l’Union européenne. Cette discussion tient lieu de débat préalable au conseil européen qui se réunira les 28 et 29 octobre prochain.
Les sujets principaux de ce Conseil sont le financement des mesures climatiques, le Traité de Lisbonne et l’avenir institutionnel de l’Union. La crise économique et financière figure
également à l’ordre du jour, ainsi que le futur gouvernement économique européen et l’immigration clandestine. Le groupe SRC s’abstiendra sur cet
article
M. Christophe
Caresche. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, le débat qui nous réunit porte à la fois sur la préparation du prochain Conseil
européen et sur le prélèvement européen, c’est-à-dire sur la contribution de la France au budget de l’Union pour l’année 2011.
Je partirai du contexte économique dans lequel se trouve l’Europe et des défis qu’elle se doit de relever impérativement
dans les mois qui viennent.
L’Europe a su faire face, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, à une des crises financières et économiques les
plus dévastatrices que le monde ait connues. Elle a réagi, souvent dans l’improvisation : ce qui a révélé la faiblesse des outils dont elle disposait pour faire face à cette crise, souvent
dans la douleur : les antagonismes nationaux se sont manifestés au grand jour, notamment entre la France et l’Allemagne sur la question grecque, mais elle a réagi. Elle a su éviter malgré
tout la faillite de son système bancaire. Elle a su mettre en place, même de manière très imparfaite, des plans de relance. Elle a su, surtout, surmonter la crise de l’euro.
Monsieur Myard (député UMP de la 5e circonscription des Yvelines), je ne fais pas partie de ceux qui
considèrent ces résultats comme négligeables Les Européens ont évité la catastrophe, et ce n’est pas rien.
Après le temps de l’urgence vient celui de la reconstruction. Cette phase n’est pas moins délicate à négocier que la
précédente. Car il s’agit de retrouver une trajectoire de croissance, avec les handicaps que connaissait l’Europe avant la crise mais avec, aussi, le fardeau des mesures qui ont été prises pour y
faire face et qui ont considérablement dégradé les finances publiques de la plupart des États européens.
C’est donc un défi considérable qui est devant nous : il nous faut faire aujourd’hui ce que nous n’avons pas été
capables de faire avant la crise, alors que la situation est maintenant dégradée. Dans ce contexte, deux risques me semblent devoir être soulignés.
Le premier est celui d’une sortie de crise longue et poussive en Europe. Le scénario, que beaucoup redoutaient, d’une
reprise européenne atone et d’une croissance molle semble se confirmer, alors que d’autres régions du monde retrouvent le chemin de la prospérité. Certains évoquent même la possibilité d’une
rechute et d’un retour de la récession.
Il faut dès lors s’interroger sur des politiques d’assainissement financier précipitées qui, dans de nombreux pays
européens, risquent d’éteindre le dernier moteur de la croissance que constitue la demande intérieure. Elles risquent de plonger nombre de pays, dont le nôtre, dans un cycle infernal, car
l’absence de croissance se traduira par une chute des recettes fiscales, par la dégradation persistante des soldes publics et des ratios de dette, et par l’érosion inexorable de la compétitivité,
sans que, in fine, les marchés soient rassurés.
Le deuxième risque est celui d’une accentuation des divergences entre les économies européennes. La crise fait des
perdants et des gagnants, y compris en Europe. Elle souligne les différences de compétitivité entre des pays qui peuvent d’ores et déjà profiter de la reprise mondiale et d’autres qui sont à la
traîne. On doit se réjouir des performances de l’économie allemande, mais il ne faut pas se cacher les difficultés que va entraîner pour chacun des pays membres et pour la gouvernance de l’Europe
une divergence qui s’approfondit entre les économies européennes. Sur cette question, je rejoins les préoccupations de Gilles Carrez concernant le problème des excédents. J’ai d’ailleurs constaté
que le problème a été posé au niveau mondial par le secrétaire au Trésor américain. Il semble que Mme Lagarde ait également beaucoup insisté sur cette question.
Je reprends également à mon compte les propositions de Pierre Lequiller (député UMP de la 4e circonscription
des Yvelines) relatives à l’organisation d’une conférence interparlementaire sur les perspectives économiques et financières de l’Europe, au cours de laquelle ce type de préoccupation pourrait
être traité.
Confrontée à cette situation, l’Europe semble s’enfermer dans la seule logique de la consolidation financière, de la
résorption des dettes publiques et du renforcement du pacte de stabilité. Ce sera pour l’essentiel la mission du prochain Conseil européen.
Je ne récuse pas cette approche car, à l’évidence, elle est incontournable. Les pays européens doivent revenir à
l’équilibre de leurs comptes et respecter une discipline à cette fin. Mais cette démarche ne pourra être soutenable que si, parallèlement, il existe des moyens de relance de l’économie,
c’est-à-dire des conditions monétaires suffisamment accommodantes – on peut parler de l’euro – et des marges de manœuvre pour financer l’investissement.
L’Europe doit être le relais indispensable de la croissance. Mais autant l’Europe avance sur la question de la
coordination des politiques budgétaires, autant elle piétine sur la question de la stratégie de croissance.
La stratégie 2020 est, pour le moment, une coquille vide, un catalogue de bonnes intentions sans financement. Le budget
européen n’est pas suffisant pour mener une politique d’investissement européenne ambitieuse.
Quant à la monnaie, l’appréciation de l’euro rend aujourd’hui illusoire toute politique de compétitivité et contribue à
l’affaiblissement de l’industrie européenne.
Il est frappant de voir que les propositions visant à rendre des marges de manœuvre financières aux pays européens ou à
donner une impulsion à l’économie européenne restent jusqu’à présent lettre morte. Je pense en particulier à deux d’entre elles qui figurent dans le rapport Attali comme dans de nombreux autres
documents : l’une prône la mutualisation d’une partie des dettes souveraines ; l’autre l’émission d’obligations européennes, autrement dit un emprunt pour financer les dépenses
d’avenir.
Dans ce contexte, le prochain Conseil européen sera consacré au renforcement du pacte de stabilité. Il devrait reprendre
dans ses conclusions le rapport de M. Van Rompuy, celles-ci intégrant également, selon un projet officieux, l’accord politique franco-allemand – M. le secrétaire d’État l’a confirmé. Je
ne vais pas commenter l’ensemble du dispositif qui sera présenté : semestre européen, procédure concernant les déficits excessifs, procédure nouvelle concernant les déséquilibres excessifs,
c’est-à-dire les problématiques macroéconomiques. Toutefois, il est clair que deux sujets ont été au cœur des discussions.
Il y a eu la question des sanctions : la Commission avait imaginé un processus de sanctions automatiques auxquelles
le Conseil ne pouvait s’opposer qu’en réunissant une majorité qualifiée. L’accord franco-allemand a assoupli ce dispositif puisque l’automaticité ne concernera que le volet correctif de la
procédure de déficit excessif et que la règle dite de la « majorité inversée » – il fallait l’inventer ! – n’est pas retenue. Le Conseil décidera de la prise des sanctions à la
majorité qualifiée et il gardera donc une réelle capacité d’appréciation. C’est une bonne chose car il fallait préserver la possibilité de juger de l’opportunité de prendre des sanctions en
fonction de la situation économique et politique des États susceptibles d’être concernés.
Un autre sujet a fait débat avec l’Allemagne, sur lequel M. le secrétaire d’État pourra peut-être nous apporter
quelques précisions. Il s’agit de la création d’un « mécanisme permanent et robuste pour assurer un traitement ordonné des crises dans le futur », selon les termes de la
déclaration franco-allemande, ainsi que la pérennisation du fonds européen de stabilisation financière qui devait disparaître en 2013. L’Allemagne a accepté la création de ce type de mécanisme,
alors qu’elle y était hostile, considérant que le respect du pacte de stabilité suffisait à prévenir les crises. C’est une bonne chose car, à l’évidence, l’Europe a intérêt à signifier très
clairement qu’elle viendra en aide à un pays membre pour dissuader la spéculation.
En contrepartie, la France a accepté la possibilité de suspendre le droit de vote d’un État membre qui « violerait
gravement les principes de base de l’Union économique et monétaire », situation, il est vrai, fort improbable.
Ces dispositions nécessiteront une révision des traités, limitée, certes, mais toujours incertaine.
J’en viens maintenant au budget européen. Celui-ci devrait être un instrument de relance de l’économie européenne, ce qui
supposerait qu’il progresse de manière significative. Plusieurs d’entre nous, sur tous les bancs, l’ont rappelé : certains économistes considèrent que le budget européen, à son niveau
actuel, n’assure aucune des trois fonctions budgétaires classiques, ni la fonction d’allocation, ni celle de redistribution et encore moins celle de stabilisation. Ces économistes pensent qu’il
faudrait le porter à 2 voire 3 % du PNB communautaire.
Nombreux sont ceux qui se prononcent pour une telle évolution, à commencer par le Parlement européen et la Commission. Le
Parlement européen souhaitait une révision immédiate du cadre financier 2007-2013 pour financer des priorités nouvelles, comme la lutte contre le changement climatique, mais surtout pour
permettre l’exercice des compétences nouvelles de l’Union qui découlent du traité de Lisbonne. Cet appel n’a pas été entendu.
Le projet de budget qui nous est proposé s’inscrit étroitement dans le cadre financier pluriannuel.
Son évolution sera limitée puisque les propositions de la Commission d’augmenter significativement les crédits
d’engagement de 0,8 % et les crédits de paiement de 5,8 % ont été repoussées par le Conseil. Le Conseil a en effet décidé, à la majorité, de plafonner au mieux l’évolution des crédits
d’engagement à 0,2 % et celle des crédits de paiement à 2,9 %. Il semble que la discussion ait été difficile, certains États voulant limiter l’augmentation du budget à l’inflation,
voire le reconduire au niveau de 2010.
Monsieur le secrétaire d’État, on ne peut pas dire que la France se soit distinguée par son volontarisme puisqu’elle a
indiqué qu’elle se réservait la possibilité de rejoindre la position des États qui ont refusé ce compromis et qui considèrent que le budget européen doit aussi participer à l’assainissement
financier. À ce stade, la discussion n’est pas terminée. Le Conseil devra confirmer les décisions prises ; reste à savoir quelle position prendra notre pays.
Tout indique donc que le budget sera reconduit sans changement significatif. Ce résultat est inquiétant au moment où
s’amorce la renégociation des perspectives budgétaires européennes pour 2014-2020.
Un certain nombre de pays membres sont tentés de revoir leur contribution au budget européen. Cette tentation s’était
déjà affirmée avec la coalition dite d’austérité lors de la négociation du cadre financier 2007-2013. Avec la crise, cette tendance risque de s’amplifier, certains États estimant que les
contraintes budgétaires ne leur permettent plus de financer le budget européen. C’est non seulement la perspective d’une évolution positive du budget européen qui est en jeu, mais c’est peut-être
même, à terme, son maintien au niveau actuel.
Pour sortir de cette situation, il faut envisager de reformer le mode de financement totalement obsolète du budget
européen.
Il faut d’abord revenir sur les aménagements que les pays européens ont obtenus au fil du temps, à commencer par le
rabais britannique. Cette « normalisation » a déjà commencé mais devra se concrétiser dans le cadre de la discussion des nouvelles perspectives financières de l’Union.
Il faut aussi une réforme complète des ressources propres du budget communautaire qui, initialement, devaient fournir
l’essentiel des apports budgétaires mais qui ont été détournées de cet objectif. Aujourd’hui ce sont les contributions des États qui assurent à elles seules près de 75 % des ressources de
l’Union.
La Commission européenne travaille à la création d’une nouvelle ressource propre, seul moyen, à mon sens, d’échapper à la
pesanteur des États et d’assurer des recettes pérennes et suffisantes au budget européen. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas compris votre réaction extrêmement négative, à l’instar de
celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni, quand, cet été, le commissaire européen Janusz Lewandowski a évoqué cette perspective. C’est pourtant, à l’évidence, la seule perspective crédible et
durable pour le budget européen. Compte tenu des difficultés de renégociation du cadre budgétaire pluriannuel qui, selon toute vraisemblance, affecteront d’abord la France, c’est aussi notre
intérêt.
En effet, jusqu’à présent, la France a tiré plutôt avantage du budget européen en particulier à travers le retour qu’elle
perçoit de la politique agricole commune. Mais en fait, sa situation s’est dégradée au regard des coûts et bénéfices de l’appartenance à l’Union. La contribution de la France n’a cessé
d’augmenter ces dernières années, et elle est aujourd’hui le troisième contributeur net au budget européen. Le différentiel entre ce que « coûte » l’Europe et ce que
« rapporte » l’Europe à la France serait d’environ 5 milliards d’euros. C’est dire que notre réputation de premier bénéficiaire du budget européen est largement
usurpée !
En outre, la renégociation des perspectives budgétaires européennes sera difficile. Nous savons que la PAC, et donc la
France, seront dans le collimateur de nombreux pays.
Dans ce contexte, la France peut être tentée par un certain désengagement. C’est ce que je comprends des propos de
François Fillon lorsqu’il déclare devant les ambassadeurs : « La France contribue chaque année pour 19 milliards au budget européen. Elle en reçoit chaque année 14 milliards,
politique agricole comprise. Cette vision comptable de l’Europe n’est bien sûr qu’un aspect parcellaire du “bilan européen” pour la France, mais nos partenaires devront comprendre que cette
position de premier contributeur net – avec l’Allemagne – ne pourra pas résister éternellement aux tensions actuelles des finances publiques. »
Pour ma part, j’estime que la France aurait tort de se laisser aller à une vision purement comptable de sa participation
au budget de l’Europe. D’abord parce que ce calcul est contestable : vous savez parfaitement que l’évaluation du retour français est sujette à caution. En effet, elle ne concerne que les
retours directs, et pas les retombées indirectes des actions européennes qui, à l’évidence, concernent aussi notre nation. Ensuite, parce qu’une posture frileuse risque de nous mettre en
difficulté lors de la future renégociation des perspectives budgétaires européennes. Comment soutenir le maintien de la PAC dans un budget européen qui ne serait pas en évolution ? Nous
savons que, dans un cadre sensiblement identique au précédent, la PAC ne pourra pas être reconduite, car d’autres priorités devront être légitimement prises en compte. C’est pourquoi la France
aurait intérêt à adopter une attitude offensive et ambitieuse pour le budget européen.
Cela étant, notre pays devrait travailler à une meilleure compatibilité entre son budget national et le budget européen.
Il y a, dans cet exercice, des sources d’économies évidentes.
Pourquoi maintenir un certain nombre d’organismes nationaux, alors que les mêmes existent au niveau européen ?
M. Alain Lamassoure a eu raison de dire dans la presse et lors des réunions de commission, qu’il fallait s’interroger sur le maintien d’un certain nombre d’agences au niveau national alors
que ces structures existent au niveau européen. De même, la création d’un service diplomatique européen devrait nous amener à revoir notre présence diplomatique et consulaire dans de nombreux
pays.
Pour conclure, le groupe socialiste s’abstiendra sur l’article 46 car nous déplorons l’insuffisance de ce budget
européen.