La France doit aujourd’hui se réinventer. Riche de ses atouts, de ses potentialités exceptionnelles, mais menacé de décrochage, notre pays ne peut faire l’économie d’une réforme profonde de son organisation. Or seule la Gauche, aujourd’hui en plein doute, est en mesure d’accomplir cette tâche immense. Car elle implique, non pas d’abandonner notre modèle, ou de proposer un alignement sur le modèle anglo-saxon, mais bien de refonder le modèle français afin qu’il puisse être à nouveau source de sens et d’espérance pour notre pays et au-delà.
Ayons l’honnêteté de reconnaître que la Gauche n’y est pas encore pleinement parvenue, notamment car le travail nécessaire de clarification n’a pas été mené lors de l’élaboration du socle du projet socialiste avant l’élection présidentielle de 2012.
La crise économique qui a frappé notre pays en 2008 ne se limite pas à une crise financière et conjoncturelle. Si elle témoigne, bien sûr, des limites d’un système financier non régulé, elle met surtout en lumière l’impact de la mondialisation qui, au-delà des difficultés économiques, pose à la France des questions plus globales sur son identité et la façon dont elle s’inscrit dans le monde. Pour surmonter cette profonde crise morale, triompher du fatalisme et des blocages, il faut redonner une perspective à notre pays, une envie de conquête, une envie de progrès à nos concitoyens.
La mondialisation, certains pensent que nous pouvons nous en abstraire ; par l’appel au volontarisme politique ou par l’invocation de l’Europe. Nous savons désormais que cela ne saurait suffire et qu’il faudra l’affronter sous peine de sortir de l’Histoire. La France ne peut tracer son avenir hors du monde.
La France doit donc réinventer sa voie économique. Cette voie ne sera ni celle d’un néo-libéralisme, qui est aujourd’hui un échec, ni celle de l’économie administrée, qui fut hier une catastrophe. Car, d’un côté, face au désastre de l’économie administrée, nous avons clairement fait le choix de l'économie sociale de marché. Mais de l’autre, les politiques de libéralisation à outrance, avec lesquelles la droite libérale est loin d’avoir rompu, sont bien celles qui ont engendré la grave crise de 2008, dont le feu couve toujours.
La Gauche doit donc aujourd’hui être l’artisan d’un nouvel élan économique et l'architecte d'une nouvelle régulation. Car nous avons besoin de l’Etat pour porter des projets d'investissement stratégiques, pour engager notre économie dans la voie de l’innovation, de la transition écologique, pour donner un cadre stable et sécurisant, source de confiance. Et nous avons besoin de l’Etat, fût-il l’artisan d’un new deal public-privé, pour porter les biens premiers, tels que l’éducation et la santé, principaux vecteurs d’émancipation, de justice et d’efficacité.
La Gauche doit réinventer l’égalité. Des décennies de développement à crédit de l’Etat providence classique n’ont pas permis de lutter efficacement contre les inégalités sociales, qui continuent de se creuser. Comment pouvons-nous accepter de compter - malgré la part considérable de notre richesse consacrée au financement de nos services publics, de notre système éducatif, et de nos transferts sociaux - parmi les pays développés où les déterminismes sociaux influent le plus sur la réussite scolaire et professionnelle ? Nous devons renouer avec notre ambition d’émancipation des individus et construire une égalité réelle dans les domaines fondamentaux et prioritaires de l’éducation, du logement et de la santé. Nous devons saisir les opportunités de la révolution numérique pour procéder à un changement profond de notre approche, qui se restreint trop souvent aux inégalités de conditions, pour mieux se concentrer sur les inégalités de destin. Avec le même esprit, nous devons poursuivre une politique volontariste pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, grâce notamment à l’amélioration de la situation des femmes sur le marché du travail, la lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge et contre les violences faites aux femmes. C’est ainsi qu’une gauche moderne peut conjuguer les aspirations individuelles de notre temps et les dimensions collectives d’une politique sociale.
La France doit réinventer son patriotisme. Nous ne devons être ni mondialistes, ni nationalistes. A cet égard, l'idée européenne reste l’une des plus prometteuses du XXIe siècle. Mais l’Europe s’est éloignée, en sécrétant ses propres dogmes très bureaucratiques. La France doit donc refonder son rapport à l’Europe, qui est autant civilisationnel que politique, et savoir accepter que l’Europe n’est pas et ne sera jamais la France en plus grand. Là aussi, il nous faut porter une nouvelle synthèse pragmatique, et aborder la question européenne avec sans doute moins d’illusions mais encore davantage de gravité et d’engagement stratégique.
La France doit raffermir son cadre républicain. L’individualisme contemporain doit pouvoir s’épanouir dans ce cadre, sans remettre en cause le plein exercice de la citoyenneté, avec tous les droits et les devoirs qu’elle implique. S’il faut lutter avec la plus grande fermeté contre toutes les discriminations, il ne faut céder à aucun communautarisme. La laïcité est la garante de notre paix civile et d’une civilisation enrichie de tous ses apports. La sécurité pour tous et le respect par tous de la loi sont des ambitions progressistes.
La France doit réinventer son territoire. La réforme engagée, ambitieuse, doit ouvrir un nouvel âge de la décentralisation dans notre pays et rompre avec une logique jacobine inadaptée à notre temps. Dans le même temps, l’Etat, réformé et simplifié doit s’engager davantage sur les problématiques de cohésion et de solidarité territoriale. Car l’Etat doit mener une action renforcée pour une égalité effective dans les territoires en déshérence, qu’ils soient périurbains, ruraux ou de montagne. La puissance publique doit y repenser son intervention et inventer des solutions nouvelles contre l’enclavement, pour l’aménagement et le développement. Les futures grandes régions seront des locomotives économiques essentielles et des acteurs de l’aménagement du territoire. La création des métropoles dotera enfin nos grandes villes des prérogatives à la mesure de leur rôle dans l’économie de l’innovation, et permettra une lutte efficace contre les fractures spatiales en germe à l’intérieur du tissu urbain.
La France doit réarmer son industrie, et retrouver l’esprit d’innovation, le goût du risque, et le goût d’entreprendre. Pour répartir les richesses, il faut d’abord les produire. Pour redistribuer, il faut créer. La France doit donc accepter de combattre toutes les formes de rente et de thésaurisation, pour soutenir l’innovation, valoriser ceux qui créent, ceux qui entreprennent.
La France doit réinventer son rêve de progrès. Elle a su, au cours de son histoire, brandir l’étendard du progrès, et donner à cette idée un rayonnement universel. Elle doit aujourd’hui retrouver la conviction qu’une amélioration de la qualité de vie du plus grand nombre est possible. Mais son rapport au progrès ne peut plus être naïf. Il nous faut y intégrer des considérations éthiques et des considérations environnementales. C’est bien dans une nouvelle croissance, une croissance verte qu’il nous faut nous engager de façon durable, pour stimuler l’innovation et l’emploi, pour réconcilier l’économique, l’écologique et le social et pour bâtir un nouveau modèle de développement.
Dans le même mouvement, c’est la Gauche elle-même qui doit se réinventer. Une histoire s’est terminée à la fin du XXe siècle avec la chute du mur de Berlin puis avec la crise de 2008. Il faut cesser de vivre dans l’illusion que le vieux socialisme peut être restauré. Pour être à la hauteur des enjeux, la gauche doit se dépasser, se refonder. Elle doit porter une vision de l’intérêt général inspirée par la doctrine républicaine et par ses valeurs de liberté, de justice sociale, de progrès.
La Gauche doit rassembler les Français, oublier ses peurs comme ses arrogances dans le débat avec les autres forces politiques. Elle doit aujourd’hui vouloir substituer la coopération sociale à la théâtralité de l’affrontement, promouvoir l’esprit d’entreprise face à la rente, renouer avec son ambition d’émancipation, de transformation, de réforme et proposer des politiques d’avenir, d’investissement productif et social.
Dans la crise, face aux périls nombreux, aux conséquences dramatiques de l’échec du libéralisme et à la montée du Front national, la Gauche a le devoir de donner une nouvelle perspective au pays, un nouveau modèle, un nouvel espoir.
Une nouvelle Gauche républicaine et démocratique, sociale et écologique.
Premiers signataires :
Jean-Marie LE GUEN, Secrétaire d’Etat, Gérard COLLOMB, Sénateur-Maire de Lyon, Christophe CARESCHE, Député, Jean BESSON, Yves BLEIN, Député, Nicole BRICQ, Sénatrice, Jean-David CIOT, Député, Jean-Pierre CAFFET, Sénateur, Alain CALMETTE, Député, Philippe DOUCET, Député, Sophie ERRANTE, Députée, Jean-Louis GAGNAIRE, Député, Marc GOUA, Député, David HABIB, Député, Robert HERRMANN, Président de la communauté urbaine de Strasbourg, Monique IBORRA, Député, David KIMELFELD, Premier VP du Grand Lyon, Anne-Christine LANG, Députée, Pierre-Yves LE BORGN’, Député, Richard LIOGER, Premier adjoint de Metz, François PATRIAT, Sénateur, Odile SAUGUES, Député, Gilles SAVARY, Député, Pascal TERRASSE, Député, Jean-Louis TOURAINE, Député, Patrick VIGNAL, Député…